Mourir de faim pour la bagnole...biocarburants.
Par Fabrice Nicolino, journaliste* (L'Humanité).
Qui profite vraiment du boum des biocarburants ?
Serez-vous surpris ? J’en doute : il existe sur terre des gens qui jugent moral de cultiver des plantes alimentaires pour faire rouler des bagnoles. Dans ce monde où croupissent un milliard d’affamés chroniques, on plante massivement du colza, du tournesol, de la canne à sucre, du maïs, du palmier à huile, du soja. QUi finissent dans le réservoir.
Dans ce monde où près de trois milliards d’humains survivent avec moins de deux dollars par jour, et souvent bien moins, le prix des céréales explose. La raison en est simple : le marché alimentaire mondial est tendu à l’extrême depuis des années. D’une part, le dérèglement climatique en cours complique la tâche des paysans. Et d’autre part, la demande pousse d’année en année, massivement.
L’irruption des biocarburants ne pouvait que bouleverser ce fragile équilibre. Pour bien comprendre, un seul chiffre suffira : l’Amérique, plus grand producteur mondial de maïs, consacre déjà 25 % de sa récolte annuelle à la fabrication d’un biocarburant, le bioéthanol. Ce maïs, soustrait au marché alimentaire, a entraîné par contagion et substitution l’effondrement d’un château de cartes. En janvier 2007, la première crise sociale des biocarburants a frappé le Mexique, sous le nom de « révolte de la tortilla ». Là-bas, la tortilla de maïs, qui est leur pain quotidien, a vu son prix doubler. À cause du boom sur les biocarburants. Ce n’est hélas qu’un début, et sachez que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en ce début d’octobre 2007, annonce de nouveaux soulèvements de la faim, pour la même raison.
Ce n’est pas tout. Pour planter sur des dizaines de millions d’hectares des biocarburants il faut de la place. On prend bien entendu sur les surfaces agricoles, mais aussi sur les forêts tropicales. En grand. L’Indonésie est devenue cet été, en fanfare, le troisième émetteur de gaz à effet de serre de la planète, après la Chine et les États-Unis. Facile : les mafieux qui règnent là-bas brûlent ce qui reste de forêts pluviales et les remplacent par des plantations industrielles de palmiers à huile. Les comptes bancaires numérotés, aux Bahamas ou aux îles Caïman, seront vite remplis. La situation est (presque) la même dans le bassin du Congo, où le gouvernement de Kinshasa vient de vendre trois millions d’hectares à une société chinoise. Pour y mettre des palmiers à huile. Au Cameroun, un certain Bolloré, ami de Sarkozy, investit massivement dans ces mêmes plantations.
Comme Geor- ge Soros au Brésil, où des centaines de milliers d’esclaves modernes triment dans les champs de canne à sucre. Pour la bagnole.
Vous le savez peut-être, cette folie de l’or vert a réuni ce printemps - ils n’étaient guère éloignés - les présidents Bush et Lula. Ce dernier rêve de faire du Brésil un grand du monde, sur fond de négoce mondial d’éthanol. Disons-le comme je le pense : c’est criminel.
La propagande prétend au passage que les biocarburants seraient bons pour le climat. Mais c’est totalement faux. Les études scientifiques indépendantes des lobbies industriels prouvent exactement le contraire. Celles des professeurs David Pimentel et Tad Patzek, par exemple. Ou celle, très récente, du prix Nobel de chimie 1995, Paul Crutzen. Quand on considère la totalité de leur cycle de production, il est malheureusement limpide que les biocarburants aggravent l’effet de serre. Ils sont pires en réalité que le pétrole qu’ils sont censés remplacer !
Alors, pourquoi, c’est-à-dire comment est né le lobby des biocarburants ? En France, dès 1992, il fallait, sur fond de réforme de la PAC, trouver de nouveaux débouchés à l’agriculture industrielle. Tout le reste n’est que (mauvaise) littérature. Je dénonce avec force le soutien apporté par l’ADEME, agence qui dépend du ministère de l’Écologie de M. Borloo, à ce lobby. Le croirez-vous ? Il n’existe en France qu’une seule étude sur le bilan énergétique des biocarburants. Commandée par l’ADEME en 2002, elle a été confiée à un cabinet privé travaillant pour les transnationales. Et ce cabinet a accepté que l’étude soit pilotée directement par le lobby industriel des biocarburants. Tiens, au fait, le sujet des biocarburants a été soigneusement évité au cours des discussions du Grenelle de l’environnement. Franchement, vous trouvez cela normal ?
(*) Dernier ouvrage paru : la Faim, la bagnole, le blé et nous. Éditions Fayard, 2007. Site : fabrice-nicolino.com
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